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« L’Histoire de Diana. Trafic de drogue et politique dans le Nord mexicain », de Sabine Guez, Anacharsis, « Les ethnographiques », 252 p., 21 €.
Les premières images qui viennent quand on pense à Ciudad Juarez, grande ville de l’Etat de Chihuahua, dans le nord du Mexique, sont celles de cadavres de femmes abandonnés dans le désert. Selon Amnesty International, au moins 1 653 ont été retrouvés entre 1993 et 2008. Ciudad Juarez, séparée d’El Paso, au Texas, par le rio Bravo (rio Grande), est l’un des principaux points de passage terrestres des drogues vers les Etats-Unis. Elle est considérée comme la ville la plus dangereuse du monde. Au printemps 2024, on y dénombrait cent morts violentes par mois.
Ancienne journaliste devenue anthropologue, Sabine Guez y a fait des séjours réguliers depuis 1998, accumulant les récits de vie d’habitants. Après une thèse, soutenue en 2016, ils forment la matière de son premier livre, L’Histoire de Diana, où cette longue expérience se cristallise dans une enquête approfondie sur le destin d’une femme, Diana, donc, et de son mari, Gilberto Ontiveros, dit « El Greñas » (« la tignasse »), qui fut l’un des principaux organisateurs du trafic de marijuana dans les années 1970-1980.
La thèse s’intitulait « Une anthropologie de l’ordinaire du trafic de drogue ». La focale, pour le livre, s’est réduite. L’enjeu reste le même : tenter de comprendre ce qui se passe autour du rio Bravo en observant la manière dont les gens y vivent. Une recherche de la normalité au cœur de l’exceptionnel qui, dès lors que Diana entre en scène, s’incarne, pour l’anthropologue, dans une question obsédante : pourquoi s’est-elle mariée avec El Greñas ?
Car ces deux-là, en apparence, n’auraient jamais dû se rencontrer. Diana, issue d’une dynastie politique, a un sentiment aigu de sa « haute naissance ». Gilberto, né dans une famille pauvre, s’est fait tout seul, en commençant comme petite main du trafic. Il est devenu très riche, mais Diana n’avait besoin de rien. Il y avait autre chose. Quand Sabine Guez fait sa connaissance en 2006, elle a 53 ans, et elle est depuis longtemps séparée du trafiquant. Elle dit avoir commis une erreur en se mariant avec lui. Mais elle balance, ambivalente, incapable de fixer son récit. « C’était l’aventure », lâche-t-elle. Ensemble, ils étaient « dans le coup ». Rien, pourtant, ne suffit à expliquer des choix qui, des années après, continuent de la troubler.
Tel est l’ordinaire d’une vie : les sentiments qui vous entraînent vous paraissent limpides, mais ils changent, et au bout du compte vous n’y comprenez plus rien. La grande force du livre est de savoir à la fois maintenir ce flottement existentiel, sans lequel un récit de vie se mue en fiction théorique, et ne pas s’arrêter là. Dans les blancs des consciences, l’autrice sait repérer les enjeux qui les dépassent et contribuent à expliquer leurs choix. Des choix « à moitié », écrit-elle. L’autre moitié, comme toujours, est sociale.
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